Dialectique et création : l'art comme fait politique

Publié le 11 novembre 2019 Mis à jour le 28 avril 2021
le 11 mai 2021



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Eduardo Kac, Genesis, 1999. Transgenic artwork, dimensions variable. Edition of 2. Courtesy Galerie Charlot.
Eduardo Kac, Genesis, 1999. Transgenic artwork, dimensions variable. Edition of 2. Courtesy Galerie Charlot.

Journée d'étude organisée par Xavier Lambert

Argumentaire : 
L’art fonctionne comme un outil privilégié d’aperception et de transformation du réel, et c’est en cela qu’elle a une fonction sociétale. L’art inscrit une déconstruction du réel, à travers l’expérience personnelle de l’artiste, par l’universalisation de sa singularité, qui en permet, un peu comme le bouclier de Persée, une connaissance médiatisée par le rapport spectatoriel. Pour Bachelard : « La connaissance du réel est une lumière qui projette toujours quelque part des ombres. Elle n’est jamais immédiate et pleine. (1) » C’est dire toute la complexité de son approche. C’est dire aussi combien le réel est inépuisable, et que chaque tentative d’en cerner les contours ne représente au mieux qu’une démarche asymptotique. Ne serait-ce d’ailleurs que parce qu’à chaque fois, chaque œuvre, chaque tentative de déconstruction et de formalisation du réel, c’est un nouveau réel qui émerge.

Cette tentative aporétique représente à chaque fois aussi un élément de transformation sociale. Elle contribue à construire des réalités qui vont nourrir les rapports sociaux en ce qu’elle est à chaque fois une « manière de faire des mondes », « de faire advenir ce qui devient : de faire accoucher le monde de sa transformation [… ](2).  » Elle va constituer un substrat qui va alimenter la pensée sociale, non pas en termes applicatifs, mais en termes de construction mentale, d’organisation des schémas qui permettent l’élaboration d’un imaginaire collectif. Elle l’est en ce qu’elle contribue à construire une vision dialectique du monde qui en permet le mouvement.

L’œuvre d’art est productrice de réel. Elle ne saurait constituer une explication du réel, ne serait-ce que, parce qu’elle ne s’adresse pas à la pensée raisonnante. Si elle peut amener à produire du discours, elle n’est pas discours en tant que telle. Mais les mécanismes d’appréhension du réel qu’elle implique intrinsèquement, par le fait même qu’elle s’inscrit en regard d’un processus de création, soit en tant qu’acteur pour l’artiste, soit à travers le rapport spectatoriel, implique que l’on soit gagné par l’inquiétude.

Construire de la connaissance, c’est construire de l’inquiétude. Pour paraphraser Bachelard, l’œuvre d’art implique de penser contre son cerveau, voire de penser en deçà, en amont de son cerveau. C’est probablement en cela que l’œuvre d’art bouleverse intrinsèquement, et dans tous les sens du terme, la pensée rationnelle, qu’elle échappe, dans l’ici et maintenant de sa manifestation, à la médiatisation de la pensée rationnelle dont elle sape les fondements, par nécessité ontologique. C’est en cela qu’elle est, par essence, révolutionnaire. Car il y a bien une dimension fondamentalement politique dans l’art. Et cette dimension n’a rien à voir avec les productions plus ou moins prosélytes, ou au service ancillaire d’une idéologie quelconque. C’est ce que nous explique Adorno : « … est social en art son mouvement immanent contre la société, non sa prise de position manifeste. (3) »

Le programme est disponible ici : PROGRAMME

La Journée d'Étude est prévue en distanciel.
Inscriptions : https://univ-tlse2.zoom.us/webinar/register/WN_iS4dtp3oRyaP6zXIY0HeqQ




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[1] Gaston Bachelard, La formation de l’esprit scientifique, Paris, Vrin, p. 15
[2] Bernard Stiegler, Économie de l’hypermatériel et psychopouvoir, Entretiens avec Philippe Petit et Vincent Bontems, Paris, Mille et une nuits, 2008, p. 69
[3] Theodor W Adorno, Théorie esthétique, Théorie esthétique, trad. M. Jimenez, Paris, Klincksieck, 1974, p. 299