Repenser la notion de style dans les pratiques artistiques contemporaines à l’ère numérique

Publié le 9 juin 2021 Mis à jour le 19 octobre 2021
le 25 octobre 2021 Université Toulouse - Jean Jaurès
© Samuel Bianchini
© Samuel Bianchini

Journée d'étude organisée par Athina Masoura et Anthony Rageul.

Souvent considérée comme trop imprécise, voire controversée, la notion de style refait périodiquement surface dans le champ des études littéraires (Adam 1997, Jenny 2000) et intéresse aussi les sciences humaines dans un sens large (sociologie, philosophie, anthropologie: Granger 1968, Martinelli 2005). Singulièrement, c’est dans le champ de la création contemporaine et de sa critique qu’elle semble aujourd’hui le moins présente.

Par définition, le style concerne la mise en forme et peut désigner d’une part les marques ou traces d’unicité ou d’individualité de l’artiste repérables dans les œuvres et qui constituent une « patte » ou une « signature », et d’autre part les invariants caractérisant une période, une école ou un groupe d’artistes. Malgré la vitalité de pratiques qui impliquent de telles marques d’individualité, les pratiques contemporaines ne semblent pas pouvoir être saisies en termes de style. Différentes raisons, parfois contradictoires, pourraient l’expliquer : pluralité des techniques et des médiums employés par les artistes, délégation de la fabrication des œuvres, primauté de l’idée ou du processus de création sur la forme, pratiques sans incarnation dans un objet, etc. On peut ajouter à cette liste l’emploi des outils numériques.

En effet, on est en droit de penser que ces nouveaux intermédiaires entre la main et le support font « écran » entre l’artiste et sa création, dans la mesure où le support ou le matériau ne sont plus marqués par l’empreinte directe de l'artiste. Cela serait d’autant plus vrai quand la « fabrication » de l’œuvre consiste à rédiger des lignes de codes. L’étymologie de style – du latin stilus, instrument utilisé par les Romains pour écrire – rappelle d’ailleurs l’importance du geste et que le style émerge en partie à l’intersection d’une technologie et d’une manière particulière de la mettre en œuvre.

Pourtant, on peut constater que le style n’est pas totalement absent des pratiques contemporaines utilisant le numérique. En premier lieu, on peut penser aux pratiques graphiques et picturales à l’ordinateur. Dans le domaine du dessin génératif, on distingue au premier coup d’œil un Frieder Nake d’un Vera Molnar, un Mark Wilson d’un Casey Reas : manifestement, chacun possède un « style » qui lui est propre, et ce malgré l’absence du geste. De même, l’influence majeure de John Maeda fera dire qu’« un style maeda existe, c’est pratiquement une école. » (Bakič 2010, 223). En illustration et en bande dessinée, de nouvelles caractéristiques formelles émergent de l’utilisation du numérique (collage de Dave McKean par exemple) et de la publication sur les blogs et réseaux sociaux (exécution rapide et trait plus « lâché »). De nouvelles interfaces matérielles telles que les écrans tactiles, les tablettes graphiques, ainsi que les manettes ou détecteurs de mouvements, réintègrent le geste de l’artiste.

La question du style est également apparente dans les installations immersives et interactives ou encore dans les environnements virtuels artistiques où la place et le rôle donnés au spectateur deviennent partie prenante de l’œuvre. On se demande ainsi où chercher les traits esthétiques du style quand l’interactivité inscrit le spectateur dans l’œuvre et mêle son empreinte à celle de l’artiste. Est-ce que les fonctionnalités, les conventions d’usage et les processus de création propres aux outils numériques laissent place au style ? Si oui, dans quelle mesure ? Quels critères permettraient de distinguer et caractériser ces styles ? Comment peuvent-ils mener à redéfinir la notion de style, ou encore de « touche » ou de « manière » à l’ère numérique ?

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